mardi 17 janvier 2012

Soyons optimistes !


“Ne me parle pas sur ce ton. Je suis rongé d’une tristesse auprès de laquelle la nuit la plus sombre est une lumière éblouissante” Alfred de Musset, Lorenzaccio, Acte III Scène 3.
Il est des désespoirs que l’on pense inconsolables.
Il est des situations dont on ne pense pas sortir.
Il est des cancres que l’on croit irrécupérables.
A l’image des ressources que, face aux situations les plus terribles, nous sommes capables de mobiliser pour faire face, le cancre peut parfois nous surprendre. 
Voilà en tout cas l’expérience que nous dévoile brillamment Daniel Pennac dans son roman Chagrin d’école pour lequel il reçut le prix Renaudot en 2007. Il y raconte, non sans humour servi par une savoureuse autodérision, son long chemin de croix pour parvenir à s’extraire vainqueur du système scolaire dans lequel il aurait pu (du ?) se noyer.

Issu d’une famille d’intellectuels, il doit faire face à l’incompréhension de tous à l’égard  de son inaptitude à répondre aux attentes de ses instituteurs, comme en témoignent ces premières lignes :
« Donc, j’étais mauvais élève. Chaque soir de mon enfance, je rentrais à la maison poursuivi par l’école. Mes carnets disaient la réprobation de mes maîtres. Quand je n’étais pas le dernier de ma classe c’est que j’en étais l’avant dernier. (Champagne !) (…)
-       Tu comprends ? Est-ce que seulement tu comprends ce que je t’explique ?
Je ne comprenais pas. Cette inaptitude à comprendre remontait si loin dans mon enfance que la famille avait imaginé une légende pour en dater les origines : mon apprentissage de l’alphabet. J’ai toujours entendu dire qu’il m’avait fallut un an pour apprendre la lettre a. La lettre a, en un an. Le désert de mon ignorance commençait au-delà de l’infranchissable b. »
Telle une pièce de théâtre, chacun y joue son rôle : l’auteur, le cancre, les professeurs. A l’image de ce que les sociologues interactionnistes appellent La mise de scène de la vie quotidienne (Evring Goffman[1]), les parties prenantes de ce roman endossent leur rôle et assument l’attitude qui est attendue d’eux.
C’est peut-être là, précisément, que Daniel Pennac laisse place à de l’optimisme à travers l’intervention de l’inattendu: il s’arrête, à un moment donné, de jouer son rôle pour devenir lui-même ex-cancre tel un ex-condamné à mort. Et comble, pour devenir professeur de français.
La transition vers ce coup de théâtre apparaît pourtant complexe lorsqu’il fait parler son père en ces termes :
« Bien des années plus tard, comme je redoublais ma terminale à la poursuite d’un baccalauréat qui m’échappait obstinément, il aura cette formule :
- Ne t’inquiète pas, même pour le bac, on finit par acquérir des automatismes…
Ou en septembre 1968, ma licence de lettre enfin en poche :
- Il t’aura fallu une révolution pour la licence, doit-on craindre une guerre mondiale pour l’agrégation ? »
A l’heure où l’école est un enjeu crucial de notre conception même de la société démocratique, l’auteur nous invite à interroger cette institution dans laquelle nous investissons tant. A la fois drôle et touchant, ce roman nous donne en effet à réfléchir sur notre vision de l’école, lieu matriciel de notre éducation.
Témoignage profondément attachant d’un homme littéralement « sauvé » (puisque c’est bien le terme qu’il emploie) par une poignée d’enseignants qui ont su s’y prendre avec ce cancre apparent.
Décrits comme des héros ordinaires – tout comme il est des bourreaux ordinaires[2]- ces professeurs « sont venus me chercher au fond de mon découragement et ne m’ont lâché qu’une fois mes deux pieds solidement posés dans leur cours qui se révéla être l’antichambre de ma vie »
Ce livre est une réelle bouffée d’oxygène et de lumière face à une actualité morose.
Plutôt que de se noyer dans le désespoir avec Lorenzaccio et Kierkegaard[3], plongez-vous dans l’optimisme de Pennac ... qui nous offre même en quatrième de couverture quelques pépites de ses bulletins:
"Dessine partout, sauf en classe; Bavardage incessant; Beaucoup trop d'absences; Elève gai mais triste élève; Peut encore mieux faire; Manque de bases; Parle beaucoup, mais pas un mot d'anglais; Ne doit pas se décourager; N'a rien fait, rien rendu"  






[1] La Mise en scène de la vie quotidienne, Evring Goffman, 1959
[2] Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, Hannah Arendt, 1963
[3] La Maladie à la Mort, (ou Traité du désespoir), Søren Kierkegaard, 1849

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