“Ne me parle pas sur ce ton. Je suis rongé d’une tristesse auprès de
laquelle la nuit la plus sombre est une lumière éblouissante” Alfred de
Musset, Lorenzaccio, Acte III Scène
3.
Il est des désespoirs
que l’on pense inconsolables.
Il est des situations
dont on ne pense pas sortir.
Il est des cancres que
l’on croit irrécupérables.
A l’image des ressources
que, face aux situations les plus terribles, nous sommes capables de mobiliser
pour faire face, le cancre peut parfois nous surprendre.
Voilà en tout cas
l’expérience que nous dévoile brillamment Daniel Pennac dans son roman Chagrin d’école pour lequel il reçut le
prix Renaudot en 2007. Il y raconte, non sans humour servi par une savoureuse
autodérision, son long chemin de croix pour parvenir à s’extraire vainqueur du
système scolaire dans lequel il aurait pu (du ?) se noyer.
Issu d’une famille
d’intellectuels, il doit faire face à l’incompréhension de tous à l’égard de son inaptitude à répondre aux
attentes de ses instituteurs, comme en témoignent ces premières lignes :
« Donc, j’étais mauvais élève. Chaque soir de mon enfance, je rentrais
à la maison poursuivi par l’école. Mes carnets disaient la réprobation de mes
maîtres. Quand je n’étais pas le dernier de ma classe c’est que j’en étais
l’avant dernier. (Champagne !) (…)
- Tu comprends ? Est-ce que seulement tu
comprends ce que je t’explique ?
Je ne comprenais pas. Cette inaptitude à comprendre remontait si loin dans
mon enfance que la famille avait imaginé une légende pour en dater les
origines : mon apprentissage de l’alphabet. J’ai toujours entendu dire
qu’il m’avait fallut un an pour apprendre la lettre a. La lettre a, en un an.
Le désert de mon ignorance commençait au-delà de l’infranchissable b. »
Telle une pièce de
théâtre, chacun y joue son rôle : l’auteur, le cancre, les professeurs. A
l’image de ce que les sociologues interactionnistes appellent La mise de scène de la vie quotidienne
(Evring Goffman[1]), les
parties prenantes de ce roman endossent leur rôle et assument l’attitude qui
est attendue d’eux.
C’est peut-être là,
précisément, que Daniel Pennac laisse place à de l’optimisme à travers
l’intervention de l’inattendu: il s’arrête, à un moment donné, de jouer son
rôle pour devenir lui-même ex-cancre tel un ex-condamné à mort. Et comble, pour
devenir professeur de français.
La transition vers ce
coup de théâtre apparaît pourtant complexe lorsqu’il fait parler son père en
ces termes :
« Bien des années plus tard, comme je redoublais ma terminale à la poursuite d’un
baccalauréat qui m’échappait obstinément, il aura cette formule :
- Ne t’inquiète pas, même pour le bac, on finit
par acquérir des automatismes…
Ou en septembre 1968, ma licence de lettre enfin en poche :
- Il t’aura fallu une révolution pour
la licence, doit-on craindre une guerre mondiale pour l’agrégation ? »
A l’heure où l’école est
un enjeu crucial de notre conception même de la société démocratique, l’auteur
nous invite à interroger cette institution dans laquelle nous investissons
tant. A la fois drôle et touchant, ce roman nous donne en effet à réfléchir sur
notre vision de l’école, lieu matriciel de notre éducation.
Témoignage profondément
attachant d’un homme littéralement « sauvé »
(puisque c’est bien le terme qu’il emploie) par une poignée d’enseignants qui
ont su s’y prendre avec ce cancre apparent.
Décrits comme des héros
ordinaires – tout comme il est des bourreaux ordinaires[2]-
ces professeurs « sont venus me
chercher au fond de mon découragement et ne m’ont lâché qu’une fois mes deux
pieds solidement posés dans leur cours qui se révéla être l’antichambre de ma
vie »
Ce livre est une réelle
bouffée d’oxygène et de lumière face à une actualité morose.
Plutôt que de se noyer dans le désespoir
avec Lorenzaccio et Kierkegaard[3],
plongez-vous dans l’optimisme de Pennac ... qui nous offre même en quatrième de couverture quelques pépites de ses bulletins:
"Dessine partout, sauf en classe; Bavardage incessant; Beaucoup trop d'absences; Elève gai mais triste élève; Peut encore mieux faire; Manque de bases; Parle beaucoup, mais pas un mot d'anglais; Ne doit pas se décourager; N'a rien fait, rien rendu"
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