mardi 31 janvier 2012

L’esprit rock


“Toutes choses doivent prendre fin. Les ouvrages des mortels ne sont pas immortels et tout ce que nous voyons doit périr un jour” Sénèque
S’il avait su, Sénèque (4 av JC – 65 ap JC), que ses préceptes feraient tant de ravages chez nos rockeurs contemporains ! Parce que si l’âge fatidique des 27 ans semblent si fatal pour ces musiciens, c’est qu’ils ont un mal-être lié, précisément, au caractère éphémère des choses. Pensons à Jim Morrison (allez donc voir, au Père Lachaise le culte rendu sur sa tombe !), Kurt Cobain, Janis Joplin ou plus récemment Emy Winehouse. A les dépeindre comme des révoltés hors norme, on en oublierait presque que ce qui les définit est avant tout un désespoir bien trop profond pour être surmontable.
Loin d’essayer de nous faire comprendre la machine complexe des pensées de ces rockeurs, Vincent Brunner nous propose, avec son merveilleux ouvrage Rock Strips de quoi revoir nos classiques en matière de rock:

Ouvrage collectif où se mêlent bande dessinée et play list pour chaque groupe, ce livre au concept innovant semble dangereux à en lire l’énigmatique préface de Mathias Malzieu, chanteur du groupe Dionysos :
«  Si vous prenez la responsabilité de lire le présent manuel, vous risquez de ressentir une poussée d’adrénaline telle qu’elle télécommandera votre corps des pieds à la tête au point de vous faire danser, même devant tout le monde » (…) « Vous risquez fortement de vous faire décommander le week end chez tonton pour partir traverser la vallée de la mort au volant d’une vieille Corvette toute défoncée .Même si finalement, vous vous contenterez de traverser l’Ardèche en kart à pédales, vous aurez la sensation d’être un putain de pionnier. »
Après avoir plongé dans cet ouvrage, je peux vous garantir qu’il s’agit réellement d’une aventure : vous regretterez de ne pas avoir à disposition (et tout de suite) tous les cd des Rolling Stones, Nick Cave,  Led Zeppelin ou des Kinks …
Comble du comble, Vincent Brunner a remis ça en septembre dernier avec le deuxième tome de cette pépite : Rock Strips come back

A nouveau, chaque groupe reprend vie sous les dessins et bulles d’experts en la matière (Charles Berbérian, Loustal, Rébéna, Winshluss …) qu’accompagnent les précieux détails de la vie des artistes ainsi que leurs opus incontournables.
Plutôt que de pleurer nos morts, voilà un ouvrage qui vous donnera envie de redonner vie à votre groupe de lycée …
Et pour que certaines choses ne prennent pas fin :
The Kinks, You really got me
Nick Drake, When the day is done

lundi 30 janvier 2012

La vie ne tient qu’à un fil


“Viens amer conducteur. Pilote désespéré, vite! Lance sur les brisants ma barque épuisée par la tourmente! A ma bien aimée! (Il boit le poison) Je meurs ainsi …! Shakespeare, Roméo et Juliette
Qui n’a pas le doux (et vain) espoir, en lisant Shakespeare, de voir Juliette se réveiller quelques secondes plus tôt, ou dans la version de Baz Luhrmann, de voir Léonardo faire preuve d’un peu de patience avant d’appuyer sur la gâchette …
La vie est d’abord et avant tout un concours de circonstances. Etre là au bon moment.
Une rencontre, un regard, une parole … Des destinés entières ne tiennent souvent que dans ces quelques instants où l’on a su prendre la bonne décision ou adopter le bon geste. Francis Cabrel dédie d’ailleurs une chanson à ces rencontres inachevées :
Francis Cabrel les passantes (Poème d’Antoine Pol)
Dans Le Club des Incorrigibles Optimistes[1], Michel Marini, le héros, fait une rencontre aussi inattendue qu’agréable : il « tombe » littéralement sur une jeune fille tout aussi passionnée de lecture que lui. Les deux compères entament une passionnante discussion mais ne prennent pas le soin d’échanger leurs coordonnées respectives …
Désespéré de cette erreur, Michel partage son malheur en ces termes :
«  J’ai couru. Elle avait disparu. J’ai regardé de tous les côtés. Elle s’était volatilisée. Comment la retrouver, sans aucun indice ?  Est-ce que le hasard nous remettrait face à face ? Ou les planètes ? La chance ne passe qu’une seule fois à votre portée. Si vous ne la saisissez pas, tant pis pour vous. J’avais gâché une occasion unique et exceptionnelle et ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même. Je m’en suis voulu comme jamais. Mais si tout était prévu, il était peut être écrit qu’on était faits pour se télescoper, que je la laisserais partir sans son nom et son prénom et que j’errerais jusqu’à la fin des temps à sa recherche. Je la croiserai peut-être dans soixante-dix ans. (…) Elle aurait souvent pensé à moi avant de se marier par dépit et d’avoir six enfants. On connaîtrait enfin nos prénoms. Je lui prendrais sa main décatie. On se sourirait avec tendresse. » (p. 549, Le livre de poche)
Si ces lignes remplies de pathos et d’hyperboles donnent presque plus à rire qu’à pleurer tant le héros de douze ans (!) semble dramatiser une rencontre qui, après tout, fut joyeuse, elles révèlent néanmoins qu’une rencontre essentielle peut arriver n’importe où et n’importe quand.
Tout aussi effrayante qu’exaltante, cette réalité invite à être éveillée …
Hum … sortirai-je aujourd’hui ?


[1] Le Club des Incorrigibles Optimistes, Jean-Michel Guenassia, Le Livre de Poche, 730 pages, Prix Goncourt des Lycéens 2009

dimanche 29 janvier 2012

La vidéo du dimanche



“Au jour vénérable du soleil que les habitants se reposent et que tous les ateliers soient fermés”
Décret de l’empereur Constantin (321)
J’ai toujours pensé que le dimanche était un entre-deux qui appelait des lendemains qui chantent …
 
Voilà qui est lié à ceci et cela 

samedi 28 janvier 2012

!! Flash Info !!


« La littérature n’est pas la vie, elle n’est qu’un moyen d’exaltation de la vie, un moyen d’en saisir le drame d’une façon plus claire et plus intelligible » Stephan Zweig
Je vous parlais, ici, de Michel Rabagliati pour sa merveilleuse série de bande dessinée Paul. Figurez-vous qu’il a intégré (pour la deuxième fois) la compétition officielle (sélection Jeunesse) du très prestigieux festival international d’Angoulême pour son dernier opus Paul au Parc.

Après le succès de Paul Au Quebec qui reçut en 2010 le prix du public à ce même festival, gageons que le jury saura déceler à nouveau tout le talent de cet auteur et lui décerner demain, jour de clôture du festival, un nouveau prix ; Notons d’ailleurs que, pour une fois, l’auteur a traversé l’océan Atlantique pour être présent lors de cet événement crucial (Michel Rabagliati est un phobique de l’avion… )
Pour en savoir plus sur l’opus en question et l’édition 2012 du Festival d’Angoulême, c’est  ici
Et puis, suivez également Guy Delisle dans la sélection Officielle pour ses Chroniques de Jérusalem dont je vous parlerai bientôt.
Ainsi, si mon admiration pour Stephan Zweig reste sans faille, il faut reconnaître que le festival nous permet, le temps de ces quelques jours hors du temps (du 26 au 29 février 2012) et où chacun est dans sa bulle (!), de croire que, précisément, cette littérature est la vie.

vendredi 27 janvier 2012

Le cœur a ses raisons …

“Le cœur fait tout, le reste est inutile” Belphégor, Jean de La Fontaine, Livre XII Fable 27



S’il y en a bien un qui agit selon son cœur c’est Paul, la si belle création de Michel Rabagliati, auteur québéquois peu connu.

Ce personnage de la bande dessinée éponyme est en effet un tendre paresseux dont les bons sentiments sont emprunts d’un doux mal-être. S’il est si attachant c’est que ce jeune, qui cherche sa voix comme tant d’autres, nous expose des incertitudes que nous ne pouvons que partager. Et c’est avec son cœur qu’il y fait face. Ne cachant pas sa paresse pour l’école mais entreprenant dans ce qu’il aime – la vie - il est un archétype à chaque étape de sa vie : adolescent, jeune homme, père, mari.
Jouant malicieusement sur le parallèle des Martine (Martine à la campagne, Martine à la mer etc …) l’auteur nous fait suivre les aventures de son héros en titrant ses ouvrages selon ce même modèle. Ainsi, il nous propose notamment :









 





A la différence de Martine (dont, il est vrai, je me souviens mal …) éternel enfant innocent, naïf et intemporel, Paul évolue, grandit et change son regard sur les choses au fil des épisodes. Davantage par la force des choses, d’ailleurs que par sa propre volonté.

Drôle (humour tout québéquois …), fin et attachant, ce héros aux épais sourcils nous fait réfléchir et voyager.
Le tournant dans sa « carrière de héros » est l’épisode Paul a un travail d’été : lycéen rebelle, il décide de quitter les études pour devenir imprimeur, sans conviction. En réalité, il est perdu. Par un concours de circonstances, il devient animateur dans un camps pour enfants défavorisés en pleine forêt canadienne. Découvrant alors le dépassement de soi et mesurant sa chance d’avoir grandi dans tant d’amour, Paul se découvre lui-même bourré d’humour et de talent.
Offrant à sa propre fille, bien des années plus tard, la poupée de Marie, colonne aveugle à laquelle il s’était attaché, il aura cette phrase pour justifier ses yeux percés : « Elle est comme le petit Prince ; Elle n’a pas besoin d’yeux pour voir, elle voit avec son cœur »

Anaïs, Mon cœur, mon amour

jeudi 26 janvier 2012

Dessine-moi un ami


“En l’amitié dont je parle, les âmes se mêlent et se confondent l’un en l’autre d’un mélange si universel qu’elles ne retrouvent plus la couture qui les a jointes”
(…)
“Je l’aimais parce que c’était lui, parce que c’était moi”
Montaigne, Les Essais
Comme il serait précieux d’avoir un tel témoignage aujourd’hui ! Cet amour si fort n’est pas celui exprimé entre deux amants, mais entre deux amis. Montaigne pour La Boétie.
A l’heure où nos amis se comptent par centaines sur la multitude de réseaux où nous sommes inscrits, ces mots semblent bien désuets … et pourtant si enviables !
Aujourd’hui, il faut bien le reconnaître, nous avons sombrés dans le pathétique en matière d'ambitions amicales. La parodie qu’en ont tirée Alexis HK et Renan Luce avec leur chanson « Thanks for the add » est à cet égard révélatrice :
Renan luce, Alexis HK, Thanks for the add
A l’image de « SOS amitié » créé dans les années 1960 et dont l’hypocrisie est très clairement mise en scène dans Le Père Noël est une ordure, la virtualité de nos amitiés sur ces réseaux tend à nous voiler une vérité et évidence : ces « amis » restent, précisément, virtuels.
Extrait du Père Noel est une ordure
Toutes ces caricatures contemporaines sont pourtant empreintes d’une vérité, qui caractérise ce qu’il y a d’essentiel en l’amitié, et qu’Aristote mettait déjà en exergue dans l’Ethique à Nicomaque : il y a une nécessite à l’amitié. Pour la défense de la cité d’abord, l’amitié entre les hoplites est indispensable. Il est donc question de maintien de la paix civile. Son omniprésence actuelle résulterait ainsi d’une origine profonde liée à l’existence même de la communauté[1].
Avec cet auteur classique, l’amitié est commandée par le bien, l’utile et l’agréable. De ces trois définitions, c’est la première qui lui confère toute sa grandeur puisqu’une fois l’utilité ou l’agréable atteints, il reste le risque de voir l’amitié se briser. A l’inverse, celle fondée sur la vertu est bien plus rare et plus lente à se former …
Il y a ainsi un décalage temporel :
Comment rendre compatible l’instantanéité d’un clic qui nous fait ajouter un ami à notre réseau, avec l’investissement de long terme d’une amitié vertueuse ?
S’il te plait, dessine-moi un ami


[1] Ethique à Nicomaque, Aristote, Livre VIII (Nécessité de l’amitié)

mercredi 25 janvier 2012

Et si on faisait les comptes ?


“L’impulsion du seul appétit est esclavage, tandis que l’obéissance aux lois qu’on s’est prescrite est liberté”, Du Contrat social, Jean-Jacques Rousseau, Chapitre 8, livre I
En ce début d’année où les bonnes résolutions donnent lieu à l’établissement des célèbres “to do list”, l’idée de l’auto- prescritpion de loi est omniprésente.
Pourtant, le grand défi du mois de janvier est bien de savoir si les mielleuses intentions du début du mois ont été tenues … Voilà souvent un cruel constat.
Tel un régime que l’on remet toujours au lendemain, les « to do lists » ont la fâcheuse manie d’en rester au statut des choses « à faire », justement.
Pourquoi ont-elles une si mauvaise réputation ? Parce qu’elles nous contraignent, évidemment, à inscrire dans le présent ce que nous espérions rejeter à plus tard (ce que Bref nous dit très bien ici); et l’avenir paraît toujours bien plus excitant que ce que nous vivons. La liste des courses, la liste des reçus à un concours, la liste des joueurs …
La liste annonce finalement inlassablement une énumération plate et désespérante ! Et ce, avant même de dérouler effectivement son contenu … C’est dire si la liste est attrayante !

Elle va de paire avec la mélancolie. Voilà pourquoi elle nous paraît si compliquée à accomplir. Ces deux chansons incarnent d’ailleurs cet aspect :

Jean- Jacques Goldman, Quand tu danses

Rose, La liste

Loin de cette liste à n'en plus finir, la stratégie est, de mon côté inversée, puisque la longueur de ma liste est inversement proportionnée au temps imparti pour la réaliser :
1)   Trouver un emploi
2)   ...

Libération qu’il disait ?
Bref, Rousseau et moi, on ne va pas être copains ...

mardi 24 janvier 2012

Elle est pas belle la France ?


« A nous deux, maintenant » Eugène de Rastignac dans Le Père Goriot, Honoré de Balzac
Dans sa célèbre apostrophe à Paris, Eugène de Rastignac nous donne à penser que son champ de possibles est infini.
Il semble bien compliqué d’évoquer Paris en quelques lignes tant tout semble déjà avoir été dit …
Cette « ville lumière », capitale la « plus belle du monde » ou toute autre périphrase emplie de superlatif rend toute évocation vide et inutile.
Si cela me paraît possible, c’est parce que ces quelques lignes dépassent le seul cadre de notre capitale. Il s’agit simplement de mesurer combien le champ des possibles reste ouvert, constamment. Il est essentiel d’en être convaincu.
Tout comme Rastignac adresse à la ville qu’il surplombe un message ambivalent empli de défiance et de conviction, il est – il me semble - vital d’appréhender l’avenir avec confiance, ambition mais humilité.
Tout comme Adele avec son célèbre clip Someone like you révèle un Paris cruel – lieu de la rupture- et optimiste – lieu de la reconstruction future -, Benoit Dorémus reconnaît à cette ville les mille défauts tout en lui vouant, pourtant, un amour inconditionnel …
C’est précisément dans cette ambivalence et dualité des sentiments que cette ville appelle qu’apparaît la richesse et le caractère infini des possibles. Alors, elle est pas belle la France ?
Adele, Someone like you

Benoit dorémus, Paris




lundi 23 janvier 2012

Où sont les femmes ?



« Arnolphe, assis (s’adressant à Agnès) :
Votre sexe n'est là que pour la dépendance
Du côté de la barbe est la toute-puissance.
Bien qu'on soit deux moitiés de la société,
Ces deux moitiés pourtant n'ont point d'égalité;
L'une est moitié suprême, et l'autre subalterne; »
Molière, L’école des femmes, Acte III Scène 2
Satisfait(e)? Révolté(e) ? Amusé(e) (je coche celui-là) ?
Comme à son habitude, Molière mobilise les ressorts du comique pour rythmer ses pièces, non sans nuances, habileté et finesse. Ici, il fait parler Arnolphe sur sa vision des rapports hommes / femmes … Chacun son opinion, n’est-ce pas ?
Depuis la soumission dans laquelle Molière embrigade – non sans ironie - la gente féminine, le « Deuxième Sexe[1] » a parcouru du chemin ….
Etre féministe ou non, là n’est pas la question.
Il est un fait que les femmes sont devenues une figure éminemment centrale sur l’échiquier politique, et c’est tant mieux ! Pensons à Dilma Roussef première présidente du Brésil, Angela Merkel chancelière en Allemagne, Cristina Fernandez de Kirchner présidente de l’Argentine, Ségolène Royal au second tour des présidentielles en France en 2007… Pourtant, paradoxalement, les inégalités sont bel et bien persistantes : l’INSEE récence au sein des pays européens moins de 40% de femmes élues dans leurs Assemblées.
L’actualité, à nouveau, rattrape nos auteurs classiques puisque la campagne lancée mardi 17 janvier dernier par l’association Laboratoire de L’Egalité relance le débat sur la place de la femme dans la société et sur les inégalités entre hommes et femmes dans la vie active tout comme pour les tâches domestiques.

Le constat n’est pas neuf. Pourquoi alors les inégalités sont si persistantes ? Parce que chacun participe à les pérenniser : les hommes, qui y trouvent leur compte, les femmes qui intériorisent et jouent leur rôle. Sinon, que seraient-elles ?
Pour une lecture amusante sur ces inégalités au quotidien, lisez l’analyse du sociologue Jean-Claude Kaufmann qui se lit comme un roman La trame conjugale. Analyse du couple par son linge[2] où il montre combien l’identité est fragile et nécessite un travail quotidien de mise en scène : la femme joue la femme – tout comme pour Jean-Paul Sartre « le garçon de café joue à être le garçon de café [3]»

Oui mais voilà : tous ces « jeux » apparents engagent en réalité nos identités et voilà qui semblent bien complexe à remettre en cause…
(Non, je ne vous imposerai pas la vidéo de Patrick Juvet ... mais si vous y tenez vraiment, c'est ici !)


[1] Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, Gallimard, 1949
[2] Jean-Claude Kaufmann, La trame conjugale. Analyse du couple par son linge, Nathan, 1992
[3] Jean-Paul Sartre, L’Etre et le Néant, 1943

dimanche 22 janvier 2012

La vidéo du dimanche

“Au jour vénérable du soleil, que les habitants se reposent et que tous les ateliers soient fermés”

Décret de l’empereur Constantin (321)
Nous sommes dimanche. Alors dors.
Louis Coumian, Dors D'Or

vendredi 20 janvier 2012

Qui vivra verra ...



“L’immobilité est en marche et rien ne pourra l’arrêter” Edgar Faure
Face à toutes les – perpétuelles - promesses de changement qui se font jour en cette période de pré-campagne électorale, cette citation d’Edgar Faure fait preuve de grande actualité !
Elle rappelle subtilement combien la frontière entre l’immobilisme et l’action, le désespoir et la vitalité, le découragement et l’optimisme est ténue.
Un film qui me semble bien incarner toute l’ambivalence de ces rapports sous-tendue par cette phrase d’Edgar Faure (et, qui finalement, révèle toute sa richesse) est le célèbre Fabuleux Destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet.


Cette jeune femme accro aux ricochets qu’elle fait valser sur le canal Saint-Martin décide subitement de changer sa vision des choses et sa façon d’appréhender la vie.
Alors même qu’elle incarnait l’immobilisme – elle s’installe à Paris dans une vie plan plan où elle occupe un poste de serveuse, attendant simplement que le temps passe – elle devient progressivement la figure d’un changement tout singulier… Amélie décide, après la curieuse découverte d’un coffret d’enfant enfoui chez elle, de se mêler de la vie des autres. Mieux : d’enjoliver la vie des autres. Mieux encore : de devenir la fée invisible de la vie des autres.
Les autres, donc ?
Tel un conte et créant un Montmartre hors du temps, ce film fait exister l’immobilisme en marche que rien ne peut arrêter. Parce qu'en effet, l'immobilisme reste bel et bien présent et entremêlé à sa nouvelle activité. Déterminée à agir pour les autres, notre héroïne apprend progressivement à se mettre elle-même en danger pour faire avancer sa propre vie. Ce qui ne peut se faire sans appréhension, et dont il était déjà question ici.
Rappelant sans équivoque le personnage Blanche Neige de Disney, cette Amélie au regard malicieux est à la fois ange et démon. S’immisçant dans la vie des autres, elle les prive également de leur liberté . Nous sommes donc loin d’une douce et pure gentillesse, ce que disait déjà Emmanuel Jafferin dont nous parlions .
Quelque soit le résultat du match de ses bonnes contre ses mauvaises actions, elle nous incite, contrairement à Jean-Jacques Goldman, à ne pas attendre …

Comme dirait le centurion d’Astérix et d’Obélix dont le découragement ravit toujours le lecteur : « Engagez-vous qu’ils disaient » ...

jeudi 19 janvier 2012

Je t’aime mon amour sur la plage à mourir ...



« Chrysalde:
Si n’être point cocu vous semble un si grand bien,
Ne vous point marier en est le vrai moyen. »
Molière, L’école des femmes, Acte V Scène 9

Ce conseil emprunt d’une sournoise ironie de Chrysalde à un Arnolphe qui se voit ravir Agnès par un jeune amant (Horace) est révélateur d’un état d’esprit assez couramment partagé : à ne rien faire, nous ne risquons rien.
Les partisans de l’aphorisme inverse vous répondraient qu’une telle inanité est plus douce que les tourments dans lesquels l’action vous plonge.
Si nous cherchions un juste milieu nous tomberions sur La Blessure amoureuse. Essai sur la liberté affective du philosophe Alain Cugno.

Décortiquant les sentiments amoureux, cet ouvrage aborde un sujet sur lequel tant de banalité ont déjà été dites.
« Je t’aime mon amour sur la plage à mourir » déclare Renaud en plein concert pour se moquer de ces chansons à l’eau de rose.
Voilà pourtant un livre qui mène un travail si ce n’est pédagogique, du moins inédit de verbalisation – ou plutôt d’écriture -  de nos sentiments, que nous avons nous-mêmes bien souvent du mal à comprendre et analyser.
Le philosophe Alain Cugno pose simplement la question « Que voit-on quand on voit celle qu’on aime ? » et y répond ainsi : « En regardant celle que j’aime je vois ce qu’elle verrait si elle pouvait se voir, mais elle ne se voit pas. »
Aimer c’est donc voir.
« Il n’y a pas de personnes aimables et d’autres qui ne le sont pas, tout dépend de ce que nous voyons d’elles »
Voilà qui réchauffe le cœur !
Pourtant, loin des violons des comédies romantiques et fidèle à son titre (et à la réalité !), il appréhende bien sûr les sujets épineux des blessures amoureuses. Ces cas où l’on se sent bien seul à voir, où l’on (ou l’autre) s’arrête de voir, ces cas de « passions malheureuses » telles qu’il les appelle. Il ne se contente pas de mettre des mots sur les méandres de sentiments. Il tente et propose une issue au piège de la passion malheureuse :
« Trouver une issue signifie donc la possibilité de quitter l’endroit où l’on a été blessé (…) sans rien perdre de l’attente du prodige escompté et sans pour autant l’attendre. »
Cette lecture, loin de nous donner le mode d’emploi, nous donne donc des clefs et nous éclaire sur le mystère de la fameuse alchimie du coup de foudre.
Il est en tout cas certain que l’auteur nous donne envie de laisser parler Chrysalde et de dire plutôt avec Perdican (On ne badine pas avec l’amour, Alfred de Musset, Acte II, scène 5) :
« J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »
 Et en guise de tarte à la crème sur ce thème ...
 
La Blessure amoureuse. Essai sur la liberté affective, Alain Cugno, Seuil,  2004, 18€

mercredi 18 janvier 2012

L’absurde



« Hamm : Pourquoi ne me tues-tu pas ?
Clov : Je ne connais pas la combinaison du buffet »
Beckett, Fin de Partie.
Délicieux, cet échange entre Hamm et Clov.
Le théâtre de l’absurde a ceci de merveilleux : il n’appartient qu’à nous d’y entrer, parce qu’il incarne bien plus qu’il ne dit. C’est précisément dans les interstices et les non-dits que tout se joue.
Ces deux répliques extraites de l’échange loufoque entre les personnages de Beckett, sont tout à fait révélatrices de cette caractéristique.
Si le discours ne fait pas sens, il signifie : certes, il n’y a aucune relation logique entre la question et la réponse. Mais cette absence de compréhension n’est-elle pas une belle incarnation de la si courante incommunicabilité ?
Ce court échange en dit ainsi plus que de longs discours, dirait-on communément.
Et si cet étrange dialogue ferait croire à certains que le théâtre de l’absurde est réservé à ceux qui le comprennent, il y a maldonne ! Personne ne le comprend véritablement puisque l’absence de logique est précisément ce qui le constitue. La parole est tout ce qu’il reste au théâtre de l’absurde et l’idée même de sens ou de compréhension n’est pas dans son champ d’existence.
L’absurde dans notre quotidien ? C’est une administration universitaire disponible entre 14h et 15h30, c’est un bus qui continue de s’arrêter à l’ancien arrêt quand vous l’attendez au bon – vous le ratez -, ou vous voir coller une contravention sur le pare-brise de votre voiture dans les cinq minutes qui séparent la fin de votre ticket et le début de la gratuité du stationnement …
Toutes ces situations où l’on a comme une envie de meurtre, mais où l’on se dit que l’on n’a pas la combinaison du buffet …
 Les Petites envies de meurtre, Debout sur le Zinc