Harpagon
(criant au voleur dès le jardin, et venant sans chapeau.)
Au voleur ! au voleur ! à l'assassin ! au
meurtrier ! Justice, juste ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné ; on m'a
coupé la gorge : on m'a dérobé mon argent. Qui peut-ce être ? Qu'est-il devenu
? Où est-il ? Où se cache-t-il ? Que ferai-je pour le trouver ? Où courir ? Où
ne pas courir ? N'est-il point là ? n'est-il point ici ? Qui est-ce ? Arrête.
(À lui-même, se prenant par le bras.)
Rends-moi
mon argent, coquin... Ah ! c'est moi !
L’Avare, Molière
À l’image de ce pauvre Harpagon qui, découvrant que son butin a été volé,
délire jusqu’à confondre son propre corps avec celui d’un autre, il peut
arriver d’affabuler en faisant preuve de la plus grande paranoïa.
Comment y remédier ? Pas certaine qu’il le faille.
C’est en tout cas, c'est ce que semble nous susurrer Eric Emmanuel Schmitt dans
son poétique roman Les dix enfants que
madame Ming n’a jamais eus.
Dans une Chine où la politique de l’enfant unique règne, madame Ming
raconte à qui veut bien l’écouter, la vie de ses dix enfants. Tous ont une
histoire singulière.
En réalité, c’est surtout au héros, un Français venu travailler en Chine,
qu’elle raconte les aventures de ses descendants potentiels. Sénilité, délire
ou aveux d’une vie hors la loi ? C’est dans cette incertitude que le
lecteur avance dans sa lecture.
A l’aide de proverbes chinois ou des vies variées de ses enfants, elle
inverse finement la situation : nous devenons incertain de nos certitudes.
La frontière entre folie et réalité devient ténue. Sommes-nous finalement bien
certains que cette responsable des latrines du Grand Hôtel de Yunhai n’a pas
effectivement eu dix enfants ?
Cet ouvrage, plus proche du conte que du roman, bouscule nos certitudes
d’Européens et nous propulse dans une Asie poétique dans laquelle la philosophie
n’est jamais très loin.
Inutile de dire que Madame Ming bouleverse la vie du héros…
…
De la folie douce
…