« Dans leur pitié, pour notre
race naturellement vouée à la peine, les dieux ont institué des haltes au
milieu de nos travaux. C’est l’alternance des fêtes »
Platon
Parce qu’il faut un peu de folie avant le début d’une nouvelle semaine. Et parce que le ridicule ne tue
pas.
« Chaque cycliste, même débutant,
sait qu'à un moment ou un autre de sa vie il aura rendez-vous avec une portière
de voiture. » Paul Fournel Besoin de vélo
Il paraît que l’on n’oublie jamais vraiment comment faire du vélo.
Pourtant, l’appréhension est palpable lorsque l’on se lance de nouveau en
selle.
A cheval également.
Il n’y a qu’à voir toute la tension présentée dans le film Jappeloup (film par ailleurs inintéressant,
interminable et ennuyant) lorsque Pierre Durand (Guillaume Canet) décide de
reprendre la compétition équestre après avoir tenté une carrière d’avocat.
Et les accidents (portières, notamment) ne sont jamais très loin.
Si l’on pourrait également prendre l’exemple du ski, c’est davantage celui
de la scène qui est le plus parlant.
La scène est fascinante. Chaque représentation est une prise de risque. Chaque
représentation théâtrale est une mise en jeu de toute une pièce. « Les dés sont jetés et l’action ne dure que
le temps qu’ils roulent » pour Théodore Maulnier. Si jouer le jeu ne s’oublie pas (vous
dirait un acteur), il y a un pari perpétuel : celui que le tout fasse
sens.
Ainsi, au théâtre ce n’est pas tant une mise en danger individuelle qu’une
prise de risque globale, parce qu’« au théâtre, parler c’est agir » (Abbé
d’Aubignac, La pratique du théâtre).
Voilà qui explique sans doute le titre énigmatique du film Alceste à bicyclette. Remonterait-on en
selle comme on remonte en scène ? Quoiqu’il en soit, les héros de cette
jolie comédie dramatique sont emblématiques de cette réflexion.
« Dans leur pitié, pour notre
race naturellement vouée à la peine, les dieux ont institué des haltes au
milieu de nos travaux. C’est l’alternance des fêtes »
(En ce jour d'élection du nouveau Pape François Ier, révisons notre latin. Rediffusion de l'article du 24 mai 2012)
« Quelques semaines
plus tard, la classe de cinquième A I fut le théâtre d'un événement singulier:
pendant le cours de latin la porte s'ouvrit, Bénard entra, escorté du concierge,
salua M. Durry, notre professeur, et s'assit. Nous reconnûmes tous ses lunettes
de fer, son cache-nez, son nez un peu busqué, son air de poussin frileux: je
crus que Dieu nous le rendait. » Les Mots, Jean-Paul Sartre
Bell-um
Bell-a
Bell-um
Bell-a
Bell-um
Bell-a
Bell-i
Bell-orum
Bell-o
Bell-is
Bell-o
Bell-is
Voilà ce à quoi se résumait,
dans mon souvenir, mes cinq années de latin.
La guerre (bellum), pris
comme merveilleux exemple du paradoxe de la langue : la déclinaison du
neutre. Dès la 5ème
nous entrions donc dans un monde parallèle où le plus violent des actes nous était
imposé comme étant neutre.
Des histoires de Dieux,
de vengeance, de supplices ignobles imposés sous le sceau de l’amour. Voilà
aussi ce que nous trouvions dans ces heures hors du temps où nous apprenions
une langue prétendue « morte ».
Pourtant, tout cela devient
bien plus vivant quand vous retrouvez, à l’anniversaire d’une amie, votre
professeur de latin de 5ème. Quoi de plus improbable !
Alors non, je n’ai pas récité
ma déclinaison – quoi que le professeur aurait surement été heureux de voir que
son enseignement était resté profondément ancré, sans que je sache bien
pourquoi … - mais j’ai compris qu’il me serait bien utile d’avoir une tête
aussi pleine d’histoires rocambolesques, d’Ulysse et de travaux d’Hercule.
Il n’est pas question d’admirer
l’érudition pour elle-même. Mais bien plutôt d’admirer ces savoirs qui font de
vous un être qui ne s’ennuie jamais.
“Et bientôt, machinalement, accablé par la
morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres
une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais
à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je
tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. (…) J’avais
cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette
puissante joie? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais
qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où
venait-elle? Que signifiait-elle? Où l’appréhender? Je bois une seconde gorgée
où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m’apporte
un peu moins que la seconde. Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage
semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui,
mais en moi.” A la recherche du temps
perdu, Marcel Proust
L’ouïe, l’odorat, le
toucher, le goût et la vue.
Souvent dissociés pour
mieux être appréhendés, nos cinq sens sont parfois entremêlés. Et c’est
peut-être précisément dans ce mélange que se loge leur pleine expression.
Les souvenirs d’enfance
sont d’ailleurs typiques de ce phénomène.
Une balançoire de camp
de vacances qui nous rappelle nos nombreuses après-midi de chamaillerie, un
dernier virage d’un long périple qui laisse se découvrir la maison de vacances,
une porte grinçante qui a l’odeur particulière des fins de veillées de colonie ou encore une montagne qui nous plonge
dans nos randonnées …
Un paysage de vacances rempli de doux souvenirs, comme tant d'autres
Et finalement, un lieu
qui finit par sentir l’enfance elle-même. Toute la difficulté consiste alors à
réimporter du souvenir neuf dans ce lieu si connoté dans le passé. Lui donner
une deuxième vie.
Les choses ont cela
d’extraordinaire : elles ne demandent qu’à trouver une fin, à la fois sous
la forme de finitude et d’objectif.
Les enfants ont cela
d’extraordinaire : ils redonnent vie, sans même nous prévenir, à tous nos
souvenirs.